mercredi 13 avril 2011

Le Livre enrichi est mort! Vive le livre enrichi!

Dans mon dernier post, tentative de définition d’un livre enrichi, j’annonçais le prochain : les difficultés, voire l’impasse en terme de distribution d’un livre enrichi sous forme applicative.

Evan Schnittman de Bloomsbury a alimenté un sacré buzz en annonçant ce lundi à la London Book Fair la mort du livre enrichi avec un slide affichant une pierre tombale :

Son point de vue, repris par Thebookseller.com : l’enrichissement a un avenir dans les livres éducatifs, mais il est voué à l’échec dans la non fiction. Les e-books qui performeront seront les bestsellers papier.

Je nuancerais ses propos car c’est bien dommage d’être si peu imaginatif:
  • Oui, les e-books qui performent le mieux sont et seront les bestsellers papier
  • Oui, c’est dans le domaine de l’éducation et des livres pratiques que le livre enrichi va se développer majoritairement 
  • Mais cela ne signifie pas que le livre enrichi dans le domaine narratif est mort- né !
Il y a une opportunité dans la non-fiction et avant tout dans la littérature jeunesse (mais pas seulement), pour des livres enrichis, pensés dès leur conception pour le format numérique. Ces livres qui restent à inventer adresseront les lecteurs traditionnels mais aussi de nouveaux lecteurs de la génération digitale.

Le risque d’échec tient plus dans le format actuel des livres enrichis et donc dans leur mode de distribution.

A date, aucun format standardisé ne permet de produire un livre véritablement enrichi.

Quelques éditeurs se lancent dans l’aventure en publiant des applications sur iPhone et iPad. Mais même si ces applications sont pour certaines très réussies, elles sont noyées dans le maëlstrom des stores. (345K applications sur l’appstore français d’après la dernière étude de userAdgents)

Pour émerger, elles n’ont d’autres choix qu’avoir la chance d’être sélectionnées par Apple (ce qui est rare et aléatoire). A défaut, il faudrait que les éditeurs orchestrent leur lancement pour leur assurer un minimum de notoriété (communiqués de presse, campagnes de marketing direct, cross-selling, …). Lors des journées Grandes Marques organisées par l’EBG en mars dernier, le budget minimum des annonceurs pour le lancement d’une application sur iPhone était de 50K€. Des coûts de communication qui ne pourront jamais être couverts par le chiffre d’affaires d’un livre - application… et qui n’ont d’ailleurs de sens dans l’édition que pour relayer une application ombrelle d’une marque forte (comme Disney... ).

Outre ce problème de notoriété, le livre-application distribué dans un store doit faire face à un problème de pricing. Il est en concurrence directe avec les applications de jeux dont le niveau de prix est très faible (le prix moyen d’une application dans l’appstore est de 1,92€).

Faibles volumes de vente à attendre sans budget de communication conséquent, faibles niveaux de prix, coûts de développement importants, pas de business model donc en l’état actuel des choses.

La condition de réussite du livre enrichi tient donc à l’apparition d’un format standardisé qui puisse être distribué via les bookstores (d’ici 2- 3 ans ?). Entretemps, saluons les initiatives des quelques éditeurs qui défrichent ces nouveaux territoires sans pouvoir espérer de retour sur investissement à court terme ! Le livre enrichi est mort sous sa forme applicative ! Vive le livre enrichi à venir !

mercredi 6 avril 2011

Mes coups de coeur de mars avant qu'ils ne disparaissent en avril!

  • L'iPad 1 : la seule différence avec le 2 c'est qu'il est juste moins fin, non? ;-)

  • The Unwanted Guest et The Pedlar lady deux très beaux contes pour iPad et iPhone mis en image par l'éditeur canadien Moving tales. Ce ne sont ni des vidéos, ni des CD ROMs, ni des livres 2D... Ce sont des livres enrichis comme j'aimerais en trouver plus sur iPad!

  • Le Simulacre du printemps au bec en l'air, belle rencontre artistique entre un photographe et une écrivain, tous deux fascinés par l'usage du monde de Nicolas Bouvier. Le premier a pris des photos de l'appartement de sa grand-mère, toujours en vie, la seconde a imaginé une nouvelle en lien avec les photos du premier. Très réussi! Il y a 9 titres dans cette collection "collatéral", je me suis retenue de tout acheter... A quand une version numérique?
  • Les rencontres de la SCAM au salon du livre : j'ai eu droit à un tête à tête de 20 minutes avec mon écrivain préféré! Devinez qui dans la liste:

    François Bégaudeau, Tahar Ben Jelloun, Sorj Chalandon, Catherine Clément, Régine Deforges, Irène Frain, Maylis de Kerangal, Véronique Ovaldé, Benoit Peeters, Daniel Picouly, Jean Rouaud, Leila Sebbar.

    Le concept est absolument génial, 20 minutes en tête à tête, sur un stand à l'écart de la foule, autour d'un café. Très étrange d'éprouver le même sentiment d'intimité en rencontrant l'auteur, que l'on avait éprouvé en lisant son livre.

lundi 4 avril 2011

Le livre enrichi n’est pas forcément un livre numérique, ni un jeu vidéo ni un livre dont vous êtes le héros ! Mais alors, kézako ?

Quand on parle de livre numérique, il est beaucoup question de livre enrichi. J’entends des avis assez tranchés, pour ou contre, mais de quoi parle-t-on exactement ? Il n’y a pas de livre enrichi au singulier, mais bien des livres enrichis avec des modes d’enrichissements différents plus ou moins adaptés en fonction des genres et des supports.

Le concept me fait rêver parce que j’ai toujours adoré les livres enrichis sur papier. Eh oui, on parle de livres enrichis en se référant à des livres numériques et on oublie un peu trop vite qu’il existe déjà des livres papier « enrichis ».

Enrichir : Rendre plus riche en ajoutant un élément nouveau qui augmente la valeur de l'ensemble.

Il y a déjà des livres papier :
  • Enrichis par l’image :
    • Les encyclopédies, les livres scolaires et pratiques, qui le sont par essence
    • Certains romans où des photos viennent donner une dimension supplémentaire, étrange, émouvante au récit sans être redondant ou déconstruire le fil de la lecture (j’adore les photos des romans de W.G. Sebald)
    • Enrichis par le fait qu’ils procurent une expérience visuelle / sensorielle et interactive : les livres à système qui existent vraiment depuis le XIX ème, les pop up pour enfants qui créent la surprise et sont souvent pleins de poésie, les livres de Bruno Munari que je collectionne, inclassables, feux d’artifice de couleurs, tout en découpages et transparences.
    • Enrichis par des annotations d’une série de lecteurs comme les marginalia dans les manuscrits du moyen âge, le social book avant l’heure !
    Le livre enrichi numérique, que ce soit un livre transposé du papier ou pensé spécifiquement pour le numérique, va forcément s’inscrire dans cette continuité avec des « modes d’enrichissement » différents en fonction des genres et des supports.

    Difficile de définir des « niveaux d’enrichissement », ci-dessous une modeste tentative…

    - 1. Le livre enrichi « DVD avec bonus » : on ne touche pas au livre qui est une copie pure et simple (non, je n’utiliserai pas le terme homothétique !) de son édition papier. Par contre, le lecteur a accès à des versions manuscrites, censurées, des photos de repérage de l’auteur…

      • Comme “Deliver Us From Evil", publié par Grand Central Publishing (Hachette) aux US et vendu à un prix supérieur à l’édition papier !
      • Intéressant pour des blockbusters pensés d’abord pour le papier, mais je doute que la faible valeur ajoutée justifie un différentiel de prix…
    - 2. Le livre enrichi « social » : intégration des commentaires, critiques, voire annotations des lecteurs. Le livre poursuit sa vie après sa conception par l’auteur…

    - 3. Le livre enrichi « page web » :
    ajout de vidéos, de photos, de liens hypertextes dans le texte
      • Comme Nixonland de Simon & Schuster
      • Parfait pour les livres scolaires, pratiques, historiques, de sciences & techniques, et certains romans si l’enrichissement est pensé par l’auteur dès la conception (comme chez Sebald…)

    - 4. Le livre enrichi « animé » : navigation en 2D, de page en page avec des boutons ou des zones interactives qui actionnent des animations, quelques effets visuels
      • Comme le magnifique « The Three Little Pigs »
      • Parfait pour les livres pratiques, les livres jeunesse, les plus réussis sont ceux qui arrivent à transposer la magie, les effets de surprise, la drôlerie et la poésie des pop up papier.
    - 5. Le livre enrichi « immersif » : musique, effets visuels, effet 3D, navigation qui peut sortir du "cadre"
      • Comme les superbes histoires de Moving tales ou l’encyclopédie Solar System de Faber & Faber
      • Idéal pour les livres pour enfants si l’éditeur évite l’écueil du jeu vidéo ; les guides touristiques avec géocalisation et réalité augmentée, les livres pratiques. Difficile à imaginer pour un roman sans basculer du côté du jeu vidéo
    - 6. Le livre enrichi « transmédia » : conception par un auteur d’un « ouvrage littéraire » sur plusieurs supports média en interagissant avec les lecteurs: site web, SMS, Facebook, Twitter
      • Comme Fanfan 2 d’Alexandre Jardin lancé en partenariat avec Orange
      • Nouvelle forme de roman épistolaire numérique et participatif? N’y a-t-il pas un risque de perdre le lecteur, à moins qu’il ne soit déjà féru de narration destructurée comme dans la Maison des feuilles ? Peut-on encore parler d’ouvrage littéraire quand son unité est remise en cause dans l’espace (narration éclatée entre plusieurs média) et dans le temps (œuvre évolutive, jamais figée par l’auteur)?
    Si les premiers concepts peuvent être implémentés sur smartphones et tablettes, les concepts les plus aboutis prennent vraiment leur sens sur tablettes uniquement.
    Les livres de non fiction et dans une moindre mesure de jeunesse formeront sûrement le gros du marché des livres enrichis à court terme… à nous de rêver à des romans et des œuvres littéraires conçus dès le départ pour s’intégrer sur un support numérique !

    Prochain billet : y-a-t-il un avenir pour le livre enrichi sous forme d’applications ? Comment émerger dans la multitude d'applications des stores? Sans éditorialisation? Face à des applications de jeux quasi gratuites ?